Le patronyme JUIN : quelle(s) origine(s) ?

Mythes familiaux

Dans ma jeunesse, j’ai entendu deux histoires concernant notre patronyme JUIN. Comme souvent en ce domaine, on voit que la première mérite d’être nuancée et que la seconde relève de l’imaginaire populaire avec velléité de s’attribuer une ascendance flatteuse.

« Juin, c’est le nom d’un enfant abandonné et trouvé au mois de juin. »

Possible pour certaines familles, mais cela n’explique pas la grande profusion des porteurs du nom que l’on trouve du Poitou jusqu’en Bretagne et Normandie, en passant par l’Anjou, donc sur une large partie ouest de la France d’oïl. Et encore faudrait-il pouvoir dater cette pratique.
Nota : le maréchal Juin, né en Algérie (1888-1967), était issu d’une famille du Poitou (Deux-Sèvres) où on les trouve depuis 1701 – sans aucun lien avec notre famille corrézienne.


« Juin, c’est un nom emprunté à la Révolution par des nobles pour échapper à la guillotine. »

Hypothèse très fantaisiste démentie par la simple consultation des registres paroissiaux de Dampniat, Aubazine, Lanteuil et Palazinges où ont vécu nos ancêtres, permettant de dépasser aisément cette date et où on voit qu’ils n’étaient pas nobles -même si l’un d’eux acheta une seigneurie en 1750. La Révolution française n’a pas brûlé tous les registres d’église : si cela est vrai pour quelques paroisses, cette idée est un lieu commun tenace. Il est vrai, en outre, que de nombreux documents détenus dans les châteaux ont été brûlés et nous privent de documents essentiels, comme les terriers.

L’origine du patronyme Juin

Si notre patronyme s’écrit actuellement « Juin », les documents anciens sont unanimes, la forme était autrefois « Jouin » ou avec sa variante orthographique « Jouhin ». C’est au cours du XVIIIe siècle que l’on voit, pour notre famille, le passage de Jouin à Juin (certainement par attraction du nom du mois en français, puisqu’en Corrèze on prononce encore aujourd’hui le nom du mois de juin « join/jouin »). Plus précisément, j’ai rencontré les variantes suivantes au cours de mes recherches dans les registres paroissiaux corréziens : Iouhin, Jouhin, Juhin, Jouin, Juyen, Ioein, Jouy, Jovin et dans d’autres paroisses : Joyn, (De) Juin.
Nota : Pour Iouhin et Ioein : le /i/ avait encore à cette époque aussi bien la valeur de /i/ que celle de /j/. Cette habitude scripturale vient de l’ancien alphabet gotique qui ne distinguait pas -de manière graphique- les deux sons, mais étaient distingués à l’oral.

Il y a deux hypothèses pour son origine :

La première établit que le patronyme Jouin proviendrait d’un ancien prénom conservé dans Saint-Jouin1 : il serait hérité du prénom romain Jovinus (signifiant « consacré à Jupiter », mais ce sens devait avoir disparu, comme aujourd’hui nous ne connaissons pas le sens étymologique de nos prénoms) aboutissant suivant les régions à Jovin, Jouvin, Jouin, Join, etc., ou serait l’aboutissement de juvenis « jeune ». Ce prénom Join, Jouin, issu du nom du saint, se rencontre dans l’Orne, la Sarthe au XVIIe siècle2, comme on trouve ailleurs des personnes prénommées Mayeul, d’après Saint-Mayeul, Fiacre d’après Saint-Fiacre, etc.

Nota : le mois de juin provient du nom du premier consul de Rome, Lucius Junius Brutus [prénom (praenomen) + nom (nomen) + surnom (cognomen)] dérivé du nom de la déesse Junon (Juno en latin), pour laquelle les étymologistes proposent les deux mêmes racines : l’une liée à « jeune », l’autre liée au nom de Jupiter.


La seconde hypothèse décèle dans Jouin une altération de Johannes (« Jean » en latin), notamment dans Lajoinie, à Sainte-Féréole (19), qui ne serait qu’une forme francisée de Lajoanie (c’est d’ailleurs ainsi qu’on le trouve écrit au XVIIe : La Joanie/Lajoanie3).

Il en est de même pour le nom d’un autre hameau se trouvant à Lanteuil (19) : Les Joinesses, écrit au XVIIe s. Les Jouanesches, Las Johaneschas4. Ce nom signifie « les terres de Jo(u)an » et se décompose en Joan + esches ; la finale -esche(s) représente l’évolution régulière (en Limousin) du suffixe -isca(s), un féminin pluriel pour désigner « les terres de ». Comme avec Lajoinie, il semble bien que l’orthographe ait été ici francisée (oa > oi).

Dans le « Champeval »5 (p. 181) il est dit que le hameau des Joanesches expliquerait le nom des Juin, pour la famille Juin De Faucal (nos lointains cousins, nous partageons les mêmes ancêtres Juin, et la grand-mère de mon arrière-grand-mère était aussi issue de cette famille). Or, s’il y a un lien entre ces deux noms, c’est plutôt l’inverse6 : c’est un ancêtre Joan/Johan qui a donné son nom à ces terres. Si nous avions pris le nom du lieu comme le dit Champeval -cas fréquent en Limousin et plus largement dans tout le sud-ouest- nous nous appellerions Jo(u)anesches, Joinesses, voire (avec changement de suffixe, mais prononciation autrefois identique) Jouaneix/Joineix, etc.

A Curemonte (19) il y a le château de La Johannie : ce nom, comme celui du village des Junies dans le Lot, signifie « domaine des Jean, de la famille Jean ». Joan, Johan étant la forme occitane de Jean, Jehan.

Sans que je puisse l’identifier géographiquement, dans le cartulaire d’Aubazine (XIIe s.) rédigé en latin -où sont recensés les dons (fonciers ou en nature) faits au monastère- sous l’article intitulé « De grangia de Vireiras »7 [Grange de Verrière/Veyrière(s)] on peut lire : « à Ioanesc8, moitié de manse9 & moitié de métairie10« .


La question n’étant pas tranchée par les spécialistes eux-mêmes, il est difficile de connaître l’origine et la signification exactes de notre patronyme (soit issu de Jouin, soit de Johannes, etc.). Je remarque que les noms de villes ou de villages du territoire français se rapprochant de « juin/jouin » (et junh en occitan) fournissent les mêmes pistes :

-issus de Jovis : Jouac, Jouhet, Jouaignes (Johenia 1143), Jougne (prob. Jovinia villa) ; Jou (-sous-Montjou), Jouy (Meuse), Joinville (d’autres donnent pour cette ville Juni, nom d’homme germanique). Avec le suffixe -acum désignant un domaine agricole, un endroit où il y a de l’activité agricole, Joviacum, Joviniacum (sur le dérivé Jovinius) : Joigny, Jeugny, Juigné, Juignac, Jugnac, Juvignac, Juvigné, Juvigny, Juvignies ;

-issus de Junius nom d’homme latin (+ suffixes) : Junas, Junay, Junhac (nh = gn de montagne), Jugnat ;

-issus de Johannes, nom d’homme chrétien : Jonage (Johannes + -aticum ; Johanages XIIe s.), Joannas (joan + augm. -as), Les Junies, Juniville (08).

-Il resterait ceux issus de Gaudius, gaudiacum : zone d’oïl : Jouy (71, 28), Jouey, Joyeux, Gouy ; zone d’oc : Gaujac, Gaugeac, Jaujac, Gaujan. S’il s’était développé en Limousin, Gaudiacum aurait dû donner une forme *Jaujac, *Jauzac, *Joujac, *Jouzac ou apparentée [si des spécialistes veulent bien infirmer ou confirmer cette hypothèse, je la recevrai avec beaucoup de reconnaissance].

Ces pistes posent la question-même de l’origine de la famille JUIN en Corrèze (ou historiquement en « Bas-Limousin ») : soit ce patronyme est issu de Joan/Johan et est donc local (dérivant de la forme occitane de Jean/Jehan), soit ce patronyme est issu d’une forme Juin/Jo(u)in et est peut-être originaire de l’ouest de la France (zone d’oïl) où ce patronyme est beaucoup plus courant qu’en Corrèze : une forme telle que Jouy interprétée ensuite comme Jouin/Join est envisageable (sur le modèle du type : occ. Marty = fr. Martin).

Une seule et même famille Juin dans le sud de la Corrèze ?

Plusieurs familles Juin vivent au XVIIe siècle à Palazinges, Lanteuil, Collonges, Noailhac et Turenne. Même si les données sont ténues, il est permis d’envisager une seule et même « superfamille » à l’origine, d’autant que ce patronyme se rencontre seulement dans la zone correspondant plus ou moins, pour simplifier, à la vicomté de Turenne. Toutes ces familles semblent avoir eu des liens plus ou moins proches : forte suspicion pour les branches de Palazinges et Lanteuil, et probabilités pour la branche de Lanteuil avec celles des alentours (Collonges, Noailhac et Turenne).

Mon appréciation au sujet de cette « superfamille » est peut-être erronée par les documents disponibles : les registres paroissiaux de Noailhac sont plus anciens que ceux de Lanteuil (40 ans env.).

Et si…

Tout ce qui suit est à considérer avec beaucoup de prudence, ce ne sont que des hypothèses.
Noailhac semble être le berceau des Juin, étant le seul bourg où l’on rencontre plusieurs familles Juin au XVIIe siècle. De Noailhac ces familles ont pu essaimer alentour (Collonges, Turenne, Lanteuil-Palazinges).

Or, dans le Bas-Limousin, ce patronyme peu fréquent, limité à quelques familles, inciterait à considérer que la famille Juin était originaire d’une autre région (pas d’églises dédiées à Saint-Jouin en Limousin). La guerre de Cent ans (terminée en 1453) et les différentes vagues de peste ont ruiné la région et décimé la population. Certains hameaux étaient vides, déserts, d’autres ne comptaient plus qu’une poignée d’habitants (cinq à Gramat dans le Quercy voisin). Les seigneurs firent donc appel à des « étrangers » pour établir de nouvelles fermes/exploitations20. Et peut-être est-ce à ce moment-là qu’une famille J(o)uin (composée d’un ou plusieurs noyaux familiaux) vint s’installer quelque part vers Noailhac et fit souche… On trouve au XVe s. des mentions de familles Jouin dans la Charente maritime, l’Ille et Vilaine, en Loire Atlantique, et même à Ganges dans l’Hérault (testament du 08.10.1476 de Louis Jouin pour ses enfants Louis et Catherine) ; en 1545 à Marcoussis il y a un procureur seigneurial du nom de Pierre Jouyn. Au XVe siècle un Jehan Jouyn est tué par son beau-frère en Champagne21. Ces quelques exemples suffisent pour indiquer que ce patronyme est bien attesté. Ou plus tard : à Ducey, dans la Manche, Pierre Juin, né vers 1600, sieur de Chantepie exerçait la profession de tailleur d’habits. Est-ce un membre de sa famille qui aurait fait souche en Bas-Limousin, puisque l’un de nos ancêtres J(O)UIN exerçait aussi cette profession ? L’absence de sources ne permet pas de se prononcer et il faut se méfier des similitudes : la profession de tailleur d’habits était courante.

Pour pousuivre, je vous invite à lire mon autre article : L’origine des patronymes en France (romane)

Franck JUIN, 2015-2021

Notes

1 Les prénoms des saints ont très tôt été donnés comme prénoms (on mettait ainsi les enfants sous la protection du saint) et ces prénoms sont devenus par la suite des noms de famille.

2 On trouve des villages portant le nom de ce saint dans les Deux-Sèvres, l’Orne, la Seine-Maritime, le Calvados. Et, exception qui confirme la règle, un hameau nommé, avec son église (en ruines), Saint-Juin dans le Lot-et-Garonne (à Lagruère).

3 Archives départementales de la Corrèze, E_DEP202GG 1, Sainte-Féréole B, 1641-1667 (par ex. vue 3, acte du 14.02.1641).

4 Archives départementales de la Corrèze, E_DEP105GG 1, Lanteuil, BMS, 1650-1712 (par ex. vue 13, acte du 20.11.1650 ; vue 41 acte du 04.11.1663)

5 Dictionnaire des Familles nobles de la Corrèze (2 vol.) par Jean Baptiste CHAMPEVAL (1847-1915) : avocat à Figeac, paléographe et grand rassembleur d’archives, il s’intéressa à la fois à l’histoire du Quercy et du Limousin. Il découvrit et sauvegarda de nombreux originaux. biographie : site des AD 19 : http://www.archives.cg19.fr/recherche/serie/id/563

6 Je base cette assertion d’après les nombreux livres d’onomastique et de toponymie que j’ai pu lire.

7 Source gallica.bnf.fr / Bnf : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10032210f/f9.item.r=cartulaire%20obazine

f° V (page de gauche) lignes 10 & 11, en VO : « Ad ioanesc dimidium mansum & dimidiam bordariam. »

8 Petit pas de côté : cette forme « ioanesc » peut être mise en parallèle avec les patronymes roumains en -escu, mais là où les langues gallo-romanes désignaient une propriété, sur l’aire daco-romane on désignait une filiation : « ionesc(u)/ioanesc(u) » était le descendant de Ion/Ioan (Jean) et c’est la forme au pluriel qui désignait les membres de la même famille, de la même communauté familiale, soit ici Ioneşti [prononcé ioneshti avec un -i final à peine perceptible], qui a servi ensuite de désignation toponymique [d’où les nombreux toponymes en Roumanie avec cette forme en -eşti, désignant le lieu où vivait une communauté descendant de tel ou tel ancêtre].

9 tenure domaniale, exploitation agricole comprenant une habitation rurale avec jardins, champs, vergers.

10 bordaria : http://ducange.enc.sorbonne.fr/BORDA5#BORDA5-3

20 Voir à ce sujet l’excellente explication de ce phénomène sur le site Histoire du Quercy : http://deboysson.free.fr/fam/doc/Histoireduquercy.php

21 in Jean-Pierre Leguay, Pauvres et marginaux au Moyen Âge, éditions Jean-Paul Gisserot, 2009

2 réflexions sur “Le patronyme JUIN : quelle(s) origine(s) ?

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